Covid-19 : Le tenancier, le scientifique et le ministre
Le secteur HORECA est durement affecté par la crise sanitaire.
Après avoir été contraint de fermer ses portes, le 14 mars 2020, le secteur a pu reprendre ses activités à compter du 8 juin 2020 moyennant le respect de strictes contraintes imposées par un arrêté ministériel du 5 juin 2020 (MB 5/06/2020, éd. 4), à savoir principalement :
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- la fermeture à 1h du matin ;
- le port du masque obligatoire pour le personnel ;
- l’interdiction du service au bar et de la consommation « debout » ;
- l’écartement des tables d’au moins 1,5 mètre, ou l’installation de séparations d’une hauteur minimale de 1,8 mètre ;
- un maximum de dix personnes par table.
La grande majorité des établissements ont très rapidement mis en place et respecté ces contraintes, et les rares récalcitrants ont fait l’objet de fermetures administratives.
A compter de la mi-juillet, une augmentation du nombre de cas positifs a été constatée en Flandres, principalement dans la province d’Anvers. A Bruxelles, cette reprise à la hausse n’a été relevée qu’à partir du 26 juillet 2020, soit près de sept semaines après la réouverture du secteur HORECA.
(Evolution du nombre de cas positifs dépistés à Bruxelles du 15 mars au 30 août 2020 – source : Sciensano)
Cette première augmentation du nombre de cas positifs à Bruxelles ne saurait donc être imputée à la réouverture des établissements HORECA, vu le délai qui sépare son apparition de la date de réouverture du secteur ; en réalité, cette première augmentation résulte en partie de l’augmentation du nombre de tests réalisés (ainsi que le démontre le graphique ci-dessous), et en partie d’un accroissement de la circulation du virus, très probablement à mettre en rapport avec les premiers retours de congé.
(Nombre de tests réalisés en Région de Bruxelles-Capitale par semaine – source : Sciensano)
Dans ce contexte d’augmentation du nombre de cas, par un arrêté ministériel du 28 juillet 2020 (MB 28/07/2020, éd. 3), il a été imposé au secteur HORECA, outre les mesures rappelées ci-dessus, de prendre l’identité et les coordonnées des clients et de les conserver « pendant 14 jours afin de faciliter toute recherche de contact ultérieur ».
Bien que la légalité de cette imposition soit discutable, la grande majorité des établissements HORECA se sont astreints à prendre l’identité de leurs clients, manifestement en toute inutilité tant on est en peine aujourd’hui de rencontrer un tenancier qui aurait été contacté par les autorités pour fournir les coordonnées de ses clients, suite à la découverte d’un cas positif dans son établissement.
Entre le 8 et le 25 septembre 2020, la Région de Bruxelles-Capitale a connu un second accroissement du nombre journalier de cas positifs, qui résulte d’une plus grande circulation du virus puisque dans le même temps, le taux de positivité a également augmenté pour approcher les 10% ; cela signifie donc qu’une personne testée sur 10 était positive au Sars-Cov-2, durant cette période en Région de Bruxelles-Capitale, là où ce taux avoisinait les 5% au même moment dans le reste du pays.
(Evolution du nombre de cas positifs dépistés à Bruxelles du 1er août au 28 septembre 2020 – Source : Sciensano)
Doit-on réellement s’étonner de cet accroissement de la circulation du virus alors que depuis trois semaines, de nombreuses personnes sont rentrées de leurs vacances estivales à l’étranger, des milliers d’écoliers et d’étudiants ont retrouvé les bancs de l’école ou de l’université qu’ils avaient quittée au mois de mars, et alors que les parents des plus jeunes de ces écoliers ont en grande majorité repris le chemin du travail, fût-ce à temps partiel ?
Doit-on par ailleurs réellement s’étonner que la circulation du virus soit plus importante en Région de Bruxelles-Capitale qu’ailleurs dans le pays, alors qu’avec plus de 7.500 habitants au km², la Région de Bruxelles-Capitale est la deuxième région européenne la plus peuplée, que cette région cosmopolite réunit plus de 180 nationalités différentes, et alors que ses transports en commun sont à nouveau bondés d’étudiants et de travailleurs ?
Les lieux de contamination sont connus : il s’agit principalement du cadre familial, du cadre professionnel ou scolaire et des lieux fermés fortement peuplés, tels les transports en commun.
C’est dans ce contexte que le 26 septembre 2020, la Région de Bruxelles-Capitale a décidé d’imposer, dans la précipitation, la fermeture des bars et des « lieux de consommation de boissons alcoolisées, à l’exclusion des restaurants », à partir de 23h, en lieu et place de 1h du matin comme imposé depuis la réouverture du secteur HORECA le 8 juin dernier.
Cette décision stigmatise gravement le secteur HORECA, les bars et cafés en particulier, en donnant l’impression que la propagation du coronavirus pourrait être enrayée en région bruxelloise – ou à tout le moins contrôlée – par la seule réduction de 2 heures d’ouverture des bars et cafés.
Cette décision repose en réalité sur des postulats manifestement erronés – ou à tout le moins non démontrés, étant que :
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- le secteur HORECA serait un vecteur majeur de propagation du virus (ce qu’aucune étude ne démontre) ;
- les clients des bars et cafés, à la différence de ceux des restaurants, seraient incapables de respecter les mesures de distanciation et de protection, à partir de 23h (ce qu’aucune étude n’étaye non plus).
Ce qui est établi en revanche, c’est que :
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- le secteur HORECA a été privé de toutes recettes du 14 mars au 7 juin 2020, et a dû faire face à des charges incompressibles avec pour toute aide, une prime unique et forfaitaire de 4.000,- euros ;
- le secteur HORECA supporte, sans aucune compensation, le coût lié aux mesures sanitaires qui lui ont été imposées à sa réouverture (installation d’écrans de protection, augmentation du personnel pour assurer l’accueil et la « police » des clients, réduction de la capacité d’accueil, fourniture de gel hydroalcoolique et de masques au personnel et aux clients, etc.) ;
- depuis la réouverture, le secteur HORECA bruxellois connaît une perte de chiffre d’affaires variant de 30% à 60%, en raison notamment de l’absence de touriste, de la diminution de la clientèle locale, de la limitation des heures d’ouverture et de l’impossibilité d’organiser tout événement.
La nouvelle mesure, qui impose la fermeture des bars et cafés à 23h, engendrera un préjudice grave et irréparable :
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- à de nombreux tenanciers de bars et cafés qui, à la différence des restaurants qui ont pu très légèrement atténuer la perte de recettes par la livraison à domicile, ont été privé de toute recette du 14 mars au 7 juin 2020, et risquent maintenant d’être acculés à la faillite ;
- mais aussi à tout le secteur HORECA qui est stigmatisé au travers de cette mesure alors que la majorité des tenanciers font respecter en leur établissement les règles de distanciation et de protection imposées au secteur depuis le 8 juin 2020, et alors qu’il n’est scientifiquement pas établi que ce secteur soit un vecteur majeur de propagation du virus.
Dans ce contexte, des bars et cafés bruxellois ont saisi, le 2 octobre 2020, le Conseil d’Etat d’un recours en annulation et en suspension de cette mesure au bénéfice de l’extrême urgence, dès lors que la pertinence de cette mesure n’est démontrée ni par les scientifiques, ni par le ministre, et dès lors que cette mesure risque de compromettre les chances de redressement du secteur à court et moyen termes, parce qu’elle donne à penser que les bars et cafés n’offriraient que très peu de sécurité sanitaire.
Le recours en suspension est toujours un exercice périlleux, encore plus dans un contexte de crise et de sensibilité exacerbée, mais le caractère manifestement injustifié de la mesure dont la suspension est sollicitée, sera peut-être l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que des mesures restrictives des libertés ne peuvent être imposées que dans le respect de la plus grande rigueur juridique.
Notre cabinet accompagne certains bars et cafés bruxellois dans ce recours.